Mon iPhone à moi
Mohamed Hmoudane
Par un jour ensoleillé, deux femmes à la fleur de l’âge s’installent à une table sur la terrasse d’un café à Saint-Denis, dans la banlieue nord de Paris. Soudain, l’une d’elles sort un iPhone dernier cri de l’époque (2017) et commence à parler à haute voix à sa copine de cet “objet magique”, comme s’il s’agissait d’un homme.
Hmoudane, assis à la table voisine, ne peut s’empêcher d’écouter la tirade de la jeune femme fascinée par son “bijou”.
Comment ne pas penser, à ce moment-là, à Mythologies de Roland Barthes, un livre qui déconstruit les rapports de fascination et d’aliénation, abordant la mythification culturelle des objets technologiques qui parsèment nos vies? Dès lors, c’est à travers le prisme barthésien – mais pas seulement – que le poète nous invite à lire ce texte
* * *
J’ai mordu à l’hameçon avec
Bonheur croqué la pomme depuis
J’ai ouvert les yeux autrement
Je vois le monde maintenant
Triste et morne était ma vie
Avant mon iPhone ah mon dieu
Quand il vibre je saute au plafond
Portée au firmament
Par les pixels les décibels les électrons
Oh merci Steve Jobs
Oh merci Silicone Valley
Mon iPhone à moi
Je l’aime à en perdre la raison
Qu’importe les petits Jaunes
Payés une misère
Qu’importe leurs doigts frêles
Écorchés
Et leurs yeux crevés
À monter mon petit bonheur
C’est chacun pour sa pomme
Je n’ai d’ailleurs pas les épaules
Assez larges pour supporter
Les malheurs du monde
Beau fin épuré doux docile magique intelligent
Mon iPhone à moi est plus précieux qu’un bijou
Mon iPhone à moi est plus qu’un joujou
Mon iPhone à moi est presque un être à part entière
Doté d’une âme quand bien même serait-elle virtuelle
Il fait des envieux il fait des jaloux
Il est à moi seule je suis à lui
À la mort à la vie nous faisons corps
À peine l’effleuré-je qu’il reconnaît
Mon empreinte digitale sésame
Qui l’ouvre instantanément
Et l’offre à moi entièrement
Que je me perde aussitôt
Dans une caverne illuminée
De mille et un trésors inouïs
Mon iPhone à moi
Je dors et me réveille avec lui
Serré contre mon corps
Serré contre mon cœur
Ah mon dieu
C’est fou comme il est exquis
C’est fou comme il m’excite
C’est fou comme il m’extasie
Mohamed Hmoudane (Maâzize, 1968)
Écrivain, traducteur et artiste peintre marocain. Responsable des pages en français de Terss.