César Vallejo, « flâneur » en Urss
Luis Dapelo
« L’artiste est inévitablement aussi un sujet politique. [1]»
César Vallejo
« … ma position d’écrivain indépendant à l’extérieur du parti et de la profession. [2] »
Walter Benjamin
L’écrivain péruvien César Vallejo (1892-1938) entreprit trois voyages dans l’URSS postléniniste, comme plusieurs intellectuels de cette période. Parmi les voyageurs hispaniques, on retrouve Miguel Hernández[3], Josep Pla[4], Manuel Chaves Nogales[5] et Julián Zugazagoitia[6], entre autres. Vallejo, devenu intellectuel marxiste à Paris dans la seconde moitié des années 1920, veut connaître et observer de près la réalité de la nouvelle patrie du socialisme mondial. Son esprit critique attentif lui permet de lire subtilement en prenant en compte les différents angles et perspectives que lui offrent la conjoncture et la réalité concrète. Comme son contemporain Walter Benjamin, Vallejo est un marxiste hétérodoxe qui tente d’expliquer la complexité du moment historique et ses conséquences. L’écrivain est d’abord un lecteur des faits, et ne pratique pas l’apologie propagandiste et naïve, ni la condamnation tendancieuse dans laquelle se sont encourus certains. Il estime que la découverte de l’URSS est une question historique, mais également politique, éthique et culturelle. Afin de réussir cette tâche, il est important d’observer le présent et de projeter la pensée de l’avenir.
Vallejo regarde, écoute, demande et se demande. Il cherche constamment à saisir les causes et creuse en profondeur. Son style de chroniqueur averti, de journaliste engagé et profond, invite le lecteur à le suivre à travers ses reportages, débordant de rythme. Il souhaite tout voir, tout inclure, tout relater, en considérant les aspects présumés insignifiants jusqu’aux analyses les plus sophistiquées pour donner ainsi une vision la plus complète possible. Tout tient à la quête de la justice du récit de cette URSS post-léniniste, pense-t-il.
Dans ses analyses, Vallejo est clair et, en paraphrasant Ortega y Gasset, on pourrait dire qu’il utilise la clarté, non seulement comme outil de « pédagogie », mais également comme exercice de courtoisie pour le lecteur. L’intellectuel total[7] est une fois de plus présent et pratique avec aisance et désinvolture tous les genres littéraires. En tant qu’écrivain, Vallejo est un poète[8], un dramaturge[9], un chroniqueur[10], un traducteur[11], un romancier[12] et un critique littéraire et politique. Cependant, il est resté « congelé » dans son image de poète. Cela s’explique par l’insistance « obsessionnelle » et « innocente » d’une certaine critique qui a préféré exalter un seul aspect de sa nature au lieu de lire et d’étudier l’intellectuel total.
Cette représentation de l’intellectuel et de l’écrivain César Vallejo est simpliste et elle n’est pas dénuée du sens politique de l’esprit contemporain. Vallejo transcendait les frontières étroites de toute taxonomie ou catégorisation. Bien qu’il soit un grand poète, il était aussi un prosateur de haut niveau et un écrivain complet. En mettant surtout en avant le poète, sans doute avec une idéalisation romantique du genre littéraire et de celui qui le pratique, on assistait à une opération de dépolitisation réussie et évidente. Cela a permis à cette critique de mettre en lumière un poète complexe, avant-gardiste et pur, un esthète qui, comme Rubén Darío et les modernistes, avait porté jusqu’au bout les possibilités du langage poétique en espagnol et rien d’autre. Cela a pour effet d’échapper au prosateur brillant, à l’intellectuel total marxiste et engagé.
Le problème de cette critique était sans doute le marxisme de Vallejo, un marxisme original et « hétérodoxe », mais somme toute un marxisme, non « en ligne » avec l’idéologie dominante et son contexte pendant la Guerre froide. Ce marxisme qui, souvent, ne semble pas avoir le droit de cité malgré le fait que certains ne cessent de répéter, triomphalistes, que la Guerre froide s’est terminée avec la chute du mur de Berlin en 1989.
La supposée fin de la Guerre froide a laissé en héritage une résistance à incorporer certains intellectuels marxistes du passé, même à les lire pour les comprendre et les interpréter. L’hypothèse d’un canon rigide et immuable peut être posée. Cette résistance est représentée par les agissements de la critique néolibérale. Bien que cette dernière soit incapable de nier l’évidence lorsque qu’elle aborde l’itinéraire idéologique des œuvres du Vallejo marxiste, elle tente comme dernier recours une certaine « relativisation » simpliste de l’engagement idéologique de l’écrivain.
La critique académique néolibérale, prétendument « progressiste », préfère lire le Vallejo marxiste sous la myopie du fardeau postmoderne. Elle ne semble pas savoir ou ne pas vouloir – et nous ne croyons pas en son innocence – distinguer la ligne subtile de frontière entre l’idéologie et la propagande. Il serait préférable que Vallejo soit « démarxisé », qu’on le liquide aussitôt en le dépeignant comme un naïf dans son enthousiasme révolutionnaire, incapable de percevoir la « négativité » de l’expérience du communisme soviétique ou du communisme tout court. C’est une forme d’injonction qui oscille entre le regret ou l’apostasie. Une vision factice, voire forcée, d’une critique qui se transforme en outil de propagande, dans ce cas néolibéral, axé sur l’esprit du temps. La myopie ou l’horizon restreint refuse de comprendre le contexte historique en faveur des spéculations où les hypothèses insensées et « présentistes » sont abondantes. Cela considérerait le marxisme de Vallejo comme une pièce du musée de l’Histoire, ou telle une « coquetterie » sur laquelle on applique la tentation de l’exhumation archéologique. Certains abordent la question de manière expéditive, un peu comme si Vallejo avait perdu sa boussole politique pendant la seconde moitié des années 1920 et les années 1930, jusqu’à sa disparition en 1938. D’autres tentent de lui attribuer une militance trotskiste, à partir de quelques opinions de Vallejo présentes dans cet ouvrage[13] et dans quelques chroniques écrites à Paris, sans comprendre que les avis ne constituent pas forcément une adhésion. De la même façon, ils présentent mécaniquement une prétendue adhésion stalinienne qui vient en secours des détracteurs déguisés en critiques pour le disqualifier politiquement et idéologiquement et le présenter « domestiqué », « déidéologisé » avec l’objectif de mieux le « consommer » exclusivement comme poète, dépourvu du radicalisme révolutionnaire. Le « binarisme » stérile entre staliniens et trotskistes doit être dépassé pour ne pas continuer d’alimenter une vision réductrice, surtout s’il s’agit d’un marxiste indépendant, « hétérodoxe ». Plus récemment, l’imagination fébrile de quelques-uns a alimenté l’hypothèse des causes de la mort de l’écrivain commandée par Staline et exécutée par le NKVD dans une de ses nombreuses opérations à l’étranger.
En conclusion, Vallejo semble être tiraillé de tous les côtés sans que la critique « académique » saisisse réellement, et de façon rigoureuse, le contexte et la position de l’écrivain. Cela peut vider l’esprit et la position révolutionnaire de l’écrivain pour l’adapter à une logique conjoncturelle et « présentiste » selon les désirs politiques et idéologiques dominants.
La Russie en 1931
C’est un pays formidable la Russie et Lénine, un génie. [14]
César Vallejo
En 1931, César Vallejo, réfugié à Madrid lors de son expulsion de la France ordonnée par la Direction de la sûreté générale du ministère de l’Intérieur[15] en raison de ses « activités subversives », conçut La Russie en 1931. Réflexions au pied du Kremlin sous requête des éditions Ulises de Madrid. « Bestseller » pendant l’été, avec quatre réimpressions, l’ouvrage est le recueil d’une série de reportages qu’il avait rédigés lors de ses voyages dans le pays de Lénine. Vallejo n’est pas un « invité officiel » et il a souligné qu’il se rendait en Russie à ses frais. Le dernier voyage relève peut-être de la diplomatie culturelle soviétique. Le premier voyage est daté d’octobre 1928, et l’écrivain finance lui-même avec l’argent alloué par l’ambassade du Pérou pour son rapatriement. Selon sa veuve, Georgette Philippart Vallejo : « Il a reçu cinquante livres, une somme que le Pérou alloue à tous les Péruviens souhaitant retourner au pays. Ayant un minimum de connaissances marxistes, Vallejo voyage aussitôt en Union soviétique (octobre 1928), en espérant s’installer à Moscou. Il est important de préciser que Vallejo n’a pas l’intention de retourner au Pérou, contrairement à certaines affirmations. Cependant, il demande un billet de retour, ce qui représente pour lui les cinquante livres qui évoquent le wagon plombé de Lénine[16]».
Quelques mois plus tard (janvier 1929), il effectue son second voyage en compagnie de sa femme. Ce séjour a été financé par une partie de l’argent de l’héritage de Georgette. Le troisième et dernier voyage (octobre 1931) aura lieu deux ans plus tard. Il est probable que le Soviet l’ait invité grâce à l’intervention de Fiodor Kéline (1893-1965), l’hispaniste soviétique. Cependant, Vallejo avait déclaré qu’il était allé en URSS sans invitation officielle, dans le but de démontrer son indépendance.
La Russie en 1931 a été le résultat de l’intérêt de Vallejo pour l’URSS. En effet, il avait déjà publié ses reportages dans la presse espagnole et péruvienne[17], comme il l’a déjà mentionné dans sa note à l’édition espagnole :
« J’expose les faits comme j’ai pu les observer et vérifier pendant mes séjours en Russie. De plus, je tente de leur faire part de leur perspective historique, en initiant les lecteurs à leur connaissance plus ou moins scientifique sans laquelle personne ne s’explique rien explicitement. Mes efforts sont par ailleurs destinés à l’essai et à la vulgarisation. [18] ».
Les textes sont des reportages journalistiques portant sur des narrations et des dialogues avec les personnages interpellés par l’auteur. Cela valorise beaucoup la structure et l’originalité. Les dialogues permettent au lecteur de se familiariser avec la réalité vivante du récit en proposant un équilibre en faveur de l’économie du texte. Il n’y a rien d’excessif ou d’hyperbolique, tout est conforme à la déclaration d’intention de Vallejo. Les lecteurs sont confrontés à une réalité qui veut s’afficher de manière totalisante dans tous ses aspects et contradictions, accompagnée de réflexions de l’auteur et de la participation des personnages à travers l’oralité. Cela nous montre, encore une fois, le brio et la maîtrise de l’écriture en prose de Vallejo que nous voulons revendiquer avec l’objectif de le présenter dans toute sa dimension d’intellectuel total. À l’instar des textes du recueil L’Art et la révolution, ceux de La Russie en 1931 semblent se développer progressivement, comme un work in progress réussi lorsque l’auteur décide de les « assembler » en aboutissant à l’ouvrage. Cela explique pourquoi Vallejo est souvent contraint de produire des textes fragmentaires en raison de ses conditions de travail et de production intellectuelle.
Du point de vue idéologique, nous pouvons voir les textes de l’ouvrage en tant que réponse à la propagande massive antisoviétique occidentale qui se manifeste par la rédaction d’un grand nombre de textes. En les classant en quatre catégories, Vallejo souhaiterait s’y démarquer afin d’exposer une nouvelle voie interprétative et critique. Cette déclaration d’intention va à l’encontre de ce que la critique contemporaine voudrait imposer avec force, à savoir la dimension propagandiste de l’ouvrage. Il y a une distance entre un regard sectaire et aveuglé et le regard d’un étranger qui désire surtout comprendre ce nouveau pays, même avec les contradictions réelles. Nous trouvons ce même regard chez Walter Benjamin dans son Journal de Moscou[19], dans lequel nous ne repérons pas de traces de sentimentalisme ni d’exaltation propagandiste. En tant qu’observateur attentif et lucide de la dynamique soviétique dans le contexte de la transition du pouvoir léniniste au pouvoir stalinien, Vallejo est un flâneur dans la réalité du nouveau pays en construction. L’URSS est encore en proie au chaos causé par l’agression occidentale, la guerre civile, l’isolement, la gestion de la nouvelle économie et les transformations accélérées qui s’ensuivent. La NEP, ensemble de mesures d’urgence dans l’économie, a généré beaucoup d’inégalités au niveau social en créant un fossé entre cette nouvelle classe, les nepmen et les travailleurs exclus de ce dispositif. Vallejo n’escamote pas cette réalité, il l’expose critiquement. La Russie, découverte par Vallejo, doit traverser des difficultés telles que la crise du logement, la mauvaise situation économique que la NEP n’a pas réussi à résoudre et les problèmes de gestion du pouvoir après la disparition de Lénine. Le pays est fragilisé et c’est dans ce contexte que le stalinisme s’installe. Vallejo est face à une réalité complexe et multiforme, peut-être plus difficile que celle qu’il avait imaginée et souhaitée. Sa recherche vise à connaître, à savoir et à traduire en expérience tout ce qui lui est offert par cette nouvelle nation en construction. L’écrivain se vaut d’un « effet miroir » sur l’autre face de la réalité mondiale, c’est-à-dire le capitalisme de la « démocratie libérale ». En comparant les deux univers, il effectue une sorte de jeu dialectique pour favoriser la compréhension du sujet et le montrer tel qu’il apparaît. Les textes ont une nature pédagogique, car leur objectif principal est de mieux saisir ce nouvel univers.
L’exploration de Vallejo voudrait inclure tous les aspects importants de la réalité russe. Son premier contact commence avec les grands espaces de Moscou :
« Lorsque l’étranger descend du train et entre dans les rues de Moscou, dans ses restaurants, ses théâtres, ses clubs ouvriers, ses bazars, ses cinémas et d’autres centres d’agglomération citadine, quelle que soit l’heure, le jour ou le mois de l’année, les bénéfices du nouveau calendrier soviétique sur le mouvement de la ville sont encore plus directs. Pas d’embouteillage. Il n’existe aucun spectacle de désordre, de disputes et d’imprécations en raison de la congestion de la foule. Il n’y a pas de service de police adapté. Effectivement, il y circule la même quantité de véhicules qu’à New-York, à Londres, à Paris, à Berlin, à Vienne […] Cependant, l’intensité et l’ordre de la circulation dans une ville ne se déterminent pas par les rues, mais par d’autres centres et noyaux collectifs destinés au travail, au commerce et aux spectacles publics. C’est ici que le Soviet met en lumière la forme harmonieuse et radicale avec laquelle, en Russie, on a résolu le problème de la circulation moderne. [20] »
La nouvelle capitale socialiste lui donne l’idée d’un certain ordre, d’harmonie et elle diffère des visions de Walter Benjamin et de Stefan Zweig selon lesquelles « Moscou, telle qu’elle se présente maintenant, pour le moment, révèle, réduites à un schéma, toutes les possibilités : surtout celles de l’échec et du succès de la révolution. [21]» ou « Moscou paraît aujourd’hui déborder de vitalité et regarder l’avenir avec joie… [22] »
L’espace de la nouvelle capitale donne lieu à d’autres espaces d’observation comme, par exemple, le théâtre où Vallejo a devant lui la représentation des classes faisant partie de la société soviétique. Vallejo trouve un exemple de la nouvelle société dans l’image projetée par la nouvelle « architecture » de l’espace social et démocratique des théâtres moscovites. Pour lui, les théâtres peuvent constituer un élément privilegié d’observation de masse :
« Les théâtres de Moscou mettent en lumière l’esprit tendrement démocratique ou, pour être plus précis, prolétaire de la clientèle. Dans ce tableau synthétique de la société soviétique, les idéaux vieux et banals d’égalité et de fraternité ont une réalisation concrète. Il est important de noter que cette fraternité et cette égalité sont réalisées ici à l’échelle prolétaire. L’égalité et la fraternité ont été et seront impossibles dans l’ordre bourgeois. En effet, l’individualisme sauvage de la société capitaliste est la preuve de toutes les compétitions et des guerres, et non de la solidarité et de la paix sociale. L’instinct collectif est un élément central de l’univers prolétaire, qui est le moteur et le point de départ de l’équilibre social. Une grande homogénéité est présente dans l’esthétique et dans les mouvements d’ensemble. Personne ne se détonne ni se démarque dans la foule. Aucun dénivelé. Personne ne peut être plus haut ou plus bas que les autres. Pas de vedettes. Tous se nivellent à la même hauteur sociale. [23] »
Il s’adresse aux ouvriers opposants du système, aux éducateurs, il est attiré par les intellectuels, le cinéma et l’avant-garde qui connaît progressivement un lent reflux. Néanmoins, Vallejo imagine encore l’avant-garde en la traduisant et en l’adaptant à l’industrie, en la pensant peut-être dans ses dernières manifestations quand il se rend dans une usine :
« Nous avons passé un moment en observant en silence plusieurs travaux de l’atelier. Alors, je commence à percevoir l’élément rythmique des travaux, ensemble et isolés, comme s’il s’agissait des sons d’un orchestre bizarre de batteries. Il me rappelle bientôt le Pas d’acier de Prokofiev ; les sonates de Hindemith et de Krasnancak de Glier […] La musique du travail est régulière, plastique, tubulaire, en petits morceaux, d’une cadence elliptique et d’une monotonie barbare et grandiose. Parfois, le rythme est un grand écart entre deux courants de haute fréquence. On entend souvent quelques cloches dans des espaces capricieux, asymétriques ou en s’unissant entre eux, comme un jazz-band. Ensuite, il y a un élan de moteurs, de marteaux et de pylônes qui durera quelques minutes. C’est donc l’allégretto d’un oratoire hébreu de Milhaud[24] ».
Le concept de liberté occupe une place importante dans sa réflexion lorsqu’il discute avec des travailleurs opposants au système. Vallejo tente de leur expliquer le sens de la liberté par le procédé de l’« effet miroir » avec l’« Occident » et aussi en s’inspirant de Marx. L’opposition est entre la « liberté de classe » et la « liberté individuelle », entre la « liberté abstraite » si chère au discours libéral et la signification de la liberté due à l’émancipation du besoin, comme le souhaitait Marx :
« Votre liberté est la liberté de classe. La liberté individuelle est une liberté relative qui requiert les besoins de la première liberté, c’est-à-dire de la liberté de classe. Marx a dit que la liberté n’est qu’une compréhension rationnelle du besoin. De plus, la liberté individuelle n’a jamais pu être complète dans l’histoire. Son exercice peut être plus ou moins restreint et conditionné par les intérêts collectifs. En ayant ces derniers moyens, la liberté individuelle s’élargira et se consolidera[25]. »
Ces idées sont liées au problème de la façon dont nous pouvons avoir une liberté qui ne se limite pas aux normes bourgeoises et occidentales. Vallejo réfléchit à la question de la compatibilité et de l’accomplissement de la liberté dans le communisme, nœud théorique et pratique qui a entraîné des coulées d’encre à travers le monde après 1917.
Les voyages de Vallejo en URSS nous fournissent de riches réflexions d’un intellectuel ayant très clairement la
notion de l’universel, d’un cosmopolitisme qui n’était pas rare à cette époque chez les intellectuels hispaniques. Nous pouvons faire une comparaison avec son ami et camarade José Carlos Mariátegui (1894-1930) et sa manière de voir le monde. Vallejo, plutôt qu’incité par l’interprétation et sa grille idéologique, est stimulé par la connaissance, par le désir de connaître directement le « nouveau » monde issu de l’expérience révolutionnaire de 1917, avec ses lumières et ses ombres. L’universalisme et le cosmopolitisme qui aident l’écrivain à surmonter les limites de n’importe quelles revendications nationalistes, contraignantes et réductrices.
C’est donc ce Vallejo que nous prétendons revendiquer au- delà des extravagances idéologiques des « présentistes » actuels et en insistant sur sa position d’intellectuel absolu, d’écrivain marxiste hétérodoxe, issu d’une « crise morale, crise de conscience, et non d’intellectuel, mais d’homme et de poète[26]», avant-gardiste, littéraire, critique, cosmopolite et universel, convaincu « qu’un système totalement neuf, unanimement repoussé par les exploiteurs et les prépondérants, doit nécessairement impliquer une amélioration certaine et fondamentale pour les masses populaires. [27] »
Il est important de lire attentivement ce Vallejo, constant dans l’imagination et dans la réalité, afin d’éviter de tomber dans des interprétations impressionnistes et fantaisistes plus préoccupées, peut-être, d’alimenter le réduit circuit « académique ». En nous fondant sur ces textes et sur l’histoire, nous devons faire appel au Vallejo « flâneur » pour que les lecteurs fassent eux-mêmes leur choix de le lire et en tirent leurs conclusions.
Luis Dapelo
Traducteur et critique littéraire. Il a fondé et dirige la collection “Hispanoamericana. Essais et littérature” aux Éditions L’Harmattan