Le Livre du Célibataire
La Rédaction
Ali Albazzaz, écrivain poète et plasticien irakien-néerlandais, nous livre une œuvre introspective avec Le Livre du Célibataire, récemment traduit de l’arabe par Mbarek Housni et publié aux Éditions Al-Mawjah Al-Thaqafiya (Rabat, 2023). Cet ouvrage aborde la solitude non seulement comme un état d’isolement, mais aussi comme une source potentielle de création artistique.
Installé entre Amsterdam et Marrakech, Albazzaz s’est fait un nom grâce à une œuvre multilingue qui explore divers aspects de la condition humaine. Dans ce dernier livre, il utilise la métaphore du cercle pour représenter l’enfermement et la quête de sens qui en découle. « Pour atteindre l’étrange, on a besoin d’un cercle fermé, responsable en toute liberté », écrit-il, illustrant ainsi comment la solitude peut devenir un espace de réflexion personnelle intense.
À travers ses pages, l’auteur dépeint l’étranger comme un être en perpétuel mouvement, en conflit avec la notion de domicile. « L’étranger supporte mal les souvenirs, car ils sont à la fois lieu et résidence », affirme Albazzaz, mettant en lumière la double nature du cercle, à la fois protectrice et emprisonnante.
Le livre explore également le désir de briser ces limites auto-imposées, avec cette aspiration : « Ah ! Si les cercles pouvaient s’ouvrir, tels des oasis à la place des prisons ». Ici, le cercle est symbolique, représentant les contraintes et les possibilités qui s’offrent à l’esprit créatif.
En s’appuyant sur la symbolique des chiffres et des formes, Albazzaz analyse l’impact de l’écriture et de l’étrangeté, évoquant comment le cercle, en tant que forme, incarne les dynamiques de l’existence humaine. « Le chiffre cinq désigne l’homme physique » et « L’étrangeté circulaire est brillante et enflammée, possédant toute la chaleur du remplacement », écrit-il, renforçant ainsi l’idée que l’art naît souvent des limites que nous nous imposons.
Trois extraits choisis
“L’étranger est attiré par l’étranger, non pas l’étranger au lieu, mais l’étranger qui cherche à posséder les caractéristiques de l’étranger. Or, le lieu n’est qu’annonce, une astuce pour dire l’injustice et l’abus. Ici réside la force de l’étranger, lorsqu’il s’approprie le lieu pour lui et sur lui, il devient un aimant qui attire continuellement cette étrangeté. Caractéristique et non-lieu. Il est des forces dans le temps, faible en son lieu, éternellement séparé de lui.” (L’écriture de l’étrange)
“La ruse de la femme est circulaire et celle de l’homme est rectiligne. Toute ruse doit être insondable pour ne pas perdre son essence comme ruse. Il n’y a pas de vainqueur ni de vaincu dans une ruse. Ce qui instaure un équilibre égalitaire propre à toute ruse. Ainsi, Shéhérazade peut conserver sa relation avec Shehrayar sans montrer son pouvoir sur lui. Or, lorsque les hommes utilisent la ruse, elle est vite percée, car pour eux, il doit y avoir inéluctablement un vainqueur. Le roi domine aussi, ce qui donne son existence à la littérature en allant au-delà de la ruse en tant que telle pour la doter du cachet littéraire. Shéhérazade s’approprie les qualités de la littérature, elle change en passant de la mémoire à l’effacement.” (Les Mille et Une nuits : l’écriture marine)
“Ils sont plus que des mots abstraits. Ce sont des mots qui reflètent des actes. La mer les emmène en mer, les fait immigrer. Ils deviennent alors des concepts émanant de la mer et non d’autre chose. Peu de mots désirent être des actes. La plupart des mots qu’on écrit, qu’on prononce ne sont rien que des mots. Ils sont des mots terriens. Les mots transformés en actes sont marins. Le corps est marin, car ses désirs et ses intentions sont changeants. Il se transforme organiquement et psychiquement. C’est un corps qui échoue comme le fait la mer, c’est-à-dire en lui-même. Les marins désirent tout le temps arriver à bon port, mais ils le quittent au premier appel. Quel désir impérieux est ce fait d’alterner le départ et l’arrivée inconditionnellement ! Arrivée espérée, départ soudain, comme un séjour du néant. Or, le séjour est impossible. La mer, séjourne-t-elle en elle-même ? Le désert, séjourne-t-il en lui-même ? Les marins oscillent entre une oppression et sa fatalité, comme l’exil. N’est-ce pas là un rêve criant ? Cette oscillation entre l’oppression et la fatalité ? L’écriture, n’est-elle pas ce fait de s’emparer de cet entre-deux ? Comme synonyme de la perte et sa fatalité. L’écriture est comme l’exil, une disposition.” (Le corps, le retour et le rêve, la vague)
Ali Albazzaz
Poète, écrivain et artiste plasticien irakien. Il vit et travaille entre Amsterdam et Marrakech.