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Manifeste de l’innocence

Hommage à Jacques Derrida

Safaa Fathy

Vingt et un ans après la disparition de Jacques Derrida, Safaa Fathy revient avec Manifeste de l’innocence, un texte inédit que la plateforme Terss publie en accord avec elle. Poétesse, cinéaste et complice intellectuelle du philosophe — avec qui elle réalisa D’ailleurs, Derrida (Arte, 1999) — Safaa Fathy propose ici une méditation sur l’innocence, la mémoire et la justice, prolongeant ce dialogue silencieux, tendrement spectral, qui n’a jamais cessé entre eux.

***

Derrida aurait dit : notre monde est épuisé.
Nous vivons dans le temps de l’épreuve — l’ordalie du monde.
Nous vivons dans une économie du jugement : morale, financière, symbolique.
L’innocence n’a qu’un seul lieu, et c’est celui des tribunaux, c’est-à-dire des théâtres de jugement. Elle est simplement une forme du verdict.
Elle succède au jugement.
C’est la seule innocence que nous connaissons dans ce monde aujourd’hui.
Trump et tous les autres monarques (je vous laisse le soin de les nommer, ils sont nombreux) de ce monde épuisé ne sont pas seulement des personnages politiques : ils sont les symptômes globaux d’une arkhè détraquée, les rois fous de ce millénaire de nuit. Le roi est fou, les rois sont fous — fous comme Un, comme commencement et commandement.
Le pouvoir s’est fait délire d’origine : vouloir être la source unique de la loi, vouloir fonder le monde sur sa propre autorité, telle est la folie du roi moderne.
De cette folie dérive une civilisation entière : un culte sans pardon, un règne sans mesure.
Benjamin l’avait pressenti :
« Le capitalisme est une religion purement cultuelle ;
sa durée est permanente, et ce culte est culpabilisant, non expiatoire.»
Une ordalie sans fin, les pénombres de verdicts sans rémission où le monde se consume à se juger lui-même.
Je ne m’approche même pas de la scène sacrificielle, où le sacrifice de toute innocence se passe devant nos yeux jour et nuit à Gaza et ailleurs.
Mais qu’y aurait-il avant tout verdict ?

En réalité, Derrida n’a presque rien écrit sur l’innocence.
Et pourtant, tout son geste — cette déconstruction de la loi, de la faute, du pardon — ne cesse de la frôler.
L’innocence, chez lui, n’est pas un concept mais un reste : ce qui résiste à l’ordre du discours, ce qui échappe à la scène du jugement.

Elle n’est pas perdue : elle n’a simplement jamais été nommée comme telle, sauf à de rares exceptions.
Dans le silence de ses textes, dans la fente qu’ils ouvrent entre la faute et la grâce, se loge une innocence sans nom, un substrat d’avant la loi.

Dans la préface quasi secrète à Jacques Trilling, L’écriture matricide, Derrida parle d’un « monstre d’innocence innée ».
Cette phrase, unique, fait apparaître ce qu’il n’a plus nommé : une naissance avant la faute, un excès originaire, un surgissement avant le jugement.

Cette innocence n’est pas morale, elle est ontologique : une lumière première, antérieure à la loi et au langage, où l’être se donne avant d’être nommé.
L’innocence surgit dans cet espacement où la force et la faiblesse échangent étrangement leurs places (Force de loi), dans le lieu où la loi n’est pas encore tombée.

Dans un système chaotique, un infime changement des conditions initiales — le battement d’ailes d’un papillon au Brésil — peut engendrer un ouragan au Texas.

Ainsi, le chaos mécanique n’est pas désordre pur : il obéit à une sensibilité extrême, à une loi de résonance invisible.

Jacques Derrida et Safaa Fathy lors du tournage de D’ailleurs, Derrida dans la synagogue de Santa Maria La Cruz (ancienne synagogue devenue église), février 1999

Dans le chaos spirituel, un geste infime de bonté, un regard sans calcul, une parole désarmée peuvent altérer la trame du réel.

Ce que Lorenz observait dans la météorologie, le cœur humain le manifeste dans le domaine de l’esprit : la moindre vibration d’amour, imperceptible, modifie le climat intérieur du monde.

Un seul acte d’innocence agit comme une onde d’énergie subtile : il ne déplace pas l’air, mais le champ de la conscience collective, ouvrant un espace où la fragilité devient la matrice d’une puissance nouvelle.

Ainsi, dans l’ordre spirituel, l’innocence est l’effet papillon du divin.

Ce qui semble impuissant bouleverse le cours du monde,

et ce que la raison croit dérisoire devient la semence d’une métamorphose.

L’effet papillon devient ici loi de grâce :

la causalité minuscule du bien transforme l’univers en silence.

L’ordalie que nous subissons dans l’épreuve quasi permanente de toutes et de tous devient alors passage : non pas vers le verdict, mais vers le pardon pur, cet espace sans loi de la loi —« … serait peut-être la condition pour voir apparaître enfin l’innocence » (Préface à Ordalie, Safaa Fathy).

Cette phrase, unique, fait apparaître ce qu’il nomme : une naissance avant la faute, un excès originaire, un surgissement avant le jugement, hors culpabilité.

Cette innocence n’est pas morale, elle est ontologique : une lumière première, antérieure à la loi et au langage, où l’être se donne avant d’être nommé.

Ce que Derrida nommait « un monstre d’innocence née » : une naissance hors jugement.

Dans cet entre-deux entre faute et grâce se manifeste l’innocence, non pas comme vertu morale, mais comme reste : ce qui subsiste quand le jour se retire et que la nuit n’ose encore venir.

L’innocence serait-elle l’arkhè sans domination, la genèse sans trône, le pouvoir rendu à la vulnérabilité ?

L’innocence, telle que je l’entends, n’est ni vertu ni pardon : elle est substrat d’inscription, le sol premier où le vivant s’écrit avant le verdict.

Elle est excès originaire, non pas retour au pur, mais surgissement de ce qui échappe à la faute sans l’ignorer.

Elle ne s’oppose pas à la culpabilité ; elle la précède.

Elle ne nie pas le jugement ; elle en dévoile la fragilité.

Elle est ce qui, en nous, permet encore de penser — c’est-à-dire de ne pas juger avant d’avoir regardé.

L’innocence devient l’autre possible de l’arkhè : un commencement sans domination, une genèse sans pouvoir.

C’est ce que Derrida appelle parfois une archi-arkhè, une origine qui n’en est plus une : non pas fondatrice, mais hospitalière.

Cette vision ouvre une politique spirituelle : la folie du pouvoir contre la naissance du vivant.

S’esquisse alors non pas une philosophie de l’innocence, mais une archéologie de son silence.

L’innocence, ici, n’est ni thème ni concept : elle est substrat, milieu d’inscription, souffle premier —

ce par quoi la parole recommence, ce par quoi l’écriture répare,

ce par quoi le monde, encore, peut se dire vivant,

une condition du penser, une dimension du salut.

Et si le monde est épuisé, si le roi est fou, alors il faut rouvrir cet espace : celui de l’innocence comme première hospitalité du sens.

Safaa Fathy (1958, Al-Minya)

Poétesse, cinéaste et essayiste égyptienne. Ancienne chercheuse à l’Institut de la pensée contemporaine (Collège international de philosophie), elle explore dans son œuvre les liens entre langage, image et mémoire. Elle est notamment connue pour son film D’ailleurs, Derrida (Arte, 1999) et son livre d’entretiens avec Jacques Derrida, Tourner les mots. Son travail, à la croisée de la poésie et de la philosophie, interroge la fragilité du monde, l’exil et la responsabilité de l’art face à la violence de l’histoire.

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