“Au loin la liberté – Essai sur Tchekhov” de Jacques Rancière
La Rédaction
Un nouveau livre du philosophe français Jacques Rancière, “Au loin la liberté – Essai sur Tchekhov”, vient de paraître aux éditions La Fabrique. Connue pour ses contributions à la philosophie politique, l’œuvre de Rancière ne se limite pas à cet aspect ; elle s’étend également à une réflexion profonde sur l’émancipation, où la littérature et les arts jouent un rôle central. Ce nouvel essai illustre parfaitement cette perspective en offrant une exploration inédite de l’œuvre d’Anton Tchekhov (1860-1904), écrivain russe dont les récits dévoilent la tension entre les aspirations à la liberté et la réalité de la servitude.
Ceux qui voient en Rancière un penseur strictement politique auraient tort de négliger cet opuscule. Rancière montre que, loin d’être un simple détour, la littérature est au cœur de sa réflexion sur l’émancipation. S’inspirant d’une courte nouvelle de Tchekhov, où deux gendarmes et un vagabond se heurtent à l’idée d’une liberté lointaine, Rancière développe une analyse profonde des récits tchekhoviens. Il met en lumière une servitude inscrite dans les habitudes quotidiennes, un état d’être que les personnages n’osent souvent pas perturber.
À travers les cinq premiers chapitres, l’essai dessine la dramaturgie de cette servitude, tandis que les quatre derniers chapitres se concentrent sur la poétique et le mode d’adresse de Tchekhov, qui cherchent à briser le cercle vicieux de la servitude par une “révolution des affects”. Par une narration subtile et mélodique, Tchekhov fait ressentir à ses personnages et à ses lecteurs la profondeur de leur malheur tout en les incitant à une transformation intérieure vers une vie plus libre.
Ce que propose Tchekhov, ce n’est pas de faire prendre conscience à ses lecteurs, mais de décrire avec précision le quotidien de la servitude, de laquelle émerge le souffle d’une autre vie possible. Pour Rancière, la servitude n’a pas d’autre raison qu’elle-même, et la briser nécessite avant tout un changement profond dans les manières de sentir. À travers les trois protagonistes du récit de Tchekhov, ce besoin de transformation se manifeste, soulignant que la clé de l’émancipation réside dans cette révolution intérieure, capable de transformer en réalité l’appel d’une nouvelle vie.