Entretien avec Yasser Arafat
La Rédaction
Dans le cadre de ses efforts pour réactiver les archives arabes, la plateforme Terss publie, en accord avec le philosophe tunisien Youssef Seddik, une interview qu’il a réalisée en novembre 1982 avec le leader de la Révolution palestinienne Yasser Arafat, à une époque où Seddik était reporter de guerre. Cette interview figure dans le livre intitulé “Liban-Palestine An 80 – Mes pas pour assiéger le Siège”, publié en mai 2024 par Med Ali Edition en Tunisie.
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Dans cet entretien, Yasser Arafat réplique aux points essentiels de notre enquête en Cisjordanie juste avant le départ définitif de l’O.L.P. du Liban. Nous avons cru nécessaire d’exposer à M. Arafat l’essentiel de notre itinéraire entre le Liban et les territoires occupés, pour qu’il ait l’occasion de l’enrichir des répliques indispensables à une meilleure compréhension de l’actualité… Le leader de la Révolution palestinienne a bien voulu répondre à nos questions.
Youssef Seddik : J’ai eu une terrible conviction lors de mon passage forcé en Israël et en Cisjordanie et il est nécessaire, à mon avis, de vous la communiquer, en votre qualité de guide de la Révolution palestinienne : l’établissement de colonies dans les territoires arabes se fait avec une si grande rapidité et avec un rythme tel que l’on s’éloigne chaque davantage des perspectives d’une évacuation de ces territoires par l’armée d’occupation. Quelles sont les attitudes à prendre en urgence et d’une manière efficace pour répondre à cette situation ?
Yasser Arafat : L’établissement de colonie de la manière et avec la rapidité dont vous parlez est un problème qui doit être pris en considération sérieusement. Seulement, nous ne devons pas l’examiner d’un point de vue ponctuel, étroit… nous ne permettrons pas à ce phénomène conjoncturel de se transformer en un facteur de chantage au-devant de la position palestinienne fondamentale. C’est que nous parlons du fait que la Patrie, dans sa totalité, est en danger et qu’elle vit sous l’occupation et non pas seulement quelques hectares par-ci quelques hectares par-là. Quand l’Etat sera établi et la terre libérée, tous ces problèmes disparaîtront. Ceci étant – excepte El-Qods – il n’y a pas un colon établi dans les nouvelles colonies qui n’ait maintenu sa maison dans la ville qu’il a quittée : celui qui arrive de Tel Aviv y aura conservé son logement à Tel Aviv, celui qui vient Haïfa a maintenu son logement – ou plus précisément le logement qu’il a usurpé – à Haïfa. Eux-mêmes sont donc convaincus que leurs nouvelles maisons dans les colonies ne sont pas définitivement acquises. Et puis, enfin, et d’un point de vue arithmétique le nombre de colons ne dépasse guère les quelques milliers, jusqu’à présent, dispersés entre le Golan, la Cisjordanie et Gaza. Il ne s’agit que de quelques colonies rassemblant très peu familles.
Mais, et malgré ce que je viens de dire, la question des colonies se place dans l’ordre de nos priorités que ce soit dans notre action au plan international et politique, ou dans nos préoccupations d’ordre économiques. Et nous en mesurons toutes les conséquences, en sachant bien que l’entité sioniste tient à lever l’épée de Damoclès sur nos têtes en entretenant et en aggravant cette situation.
Y.S : Le problème de l’heure sur la scène internationale, et aussi chez ceux qui appellent à la paix – ou prétendant y appeler – en Palestine occupée nous avons semblé être, à travers plusieurs rencontres avec des personnalités importantes, celui de la reconnaissance réciproque et simultanée entre l’O.L.P. et l’entité israélienne. Y aurait-il actuellement une tendance vers une telle initiative ?
Y.A : Je dis, et je déclare ceci à l’adresse du monde : Y a-t-il une intention, une tendance, une visée, ou un acte allant vers l’établissement d’une solution juste dans cette région du Moyen-Orient ? Et puis, est ce que cette solution ne tient vraiment qu’à un mot que prononcerait le président de l’O.L.P. ou le Conseil National Palestinien ?… La Syrie a bien reconnu la résolution 242 et, elle a bien accepté de négocier à Genève, pourquoi donc ne lui ont-ils pas resitué le Golan ? L’Egypte a bien signé un traité de paix, et pourtant le problème de Taba et de l’enclave de Gaza qui se trouvait sous contrôle égyptien, reste encore posé.
Avant de nous envoyer ces ballons de sonde, que l’on nous permette d’attendre les réponses à ces questions élémentaires, logiques, juridiques. De plus, j’ai déclaré à plusieurs reprises et en partant des solutions du Conseil National, que nous sommes prêts à appliquer la légalité internationale. Et il est mon droit de demander : qui sont ceux qui se trouvent du côté de la légalité et ceux qui la nient ?… Israël est l’unique Etat au monde érigé en vertu d’une résolution de l’O.N.U et qui pourtant n’a reconnu aucune résolution issue de cette organisation.
Le vrai problème est, en fait, celui d’une invasion impérialiste – sioniste, sous l’égide de l’administration américaine, qui la nourrit, qui l’arme, la protège, et la renforce. Voilà les véritables réalités que notre nation arabe doit connaitre. Il suffit de voir ce qui se passe au Liban, la mise à sac de ses structures économiques et sociales, de toutes possibilités de coexistence, entre les différentes confessions qui s’y trouvent, par la machine de guerre israélienne – il suffit de voir cela pour se représenter le visage de ceux qui ont comploté contre notre peuple, contre notre Nation et le contre le Liban et qui ont dit oui à la ruine.
Y.S : Il y a parmi nos interlocuteurs dans ces reportages qui soutient que la reconnaissance d’Israël mettra le gouvernement israélien dans l’impasse et l’abolira – dans les formes, du moins, – à se démettre du masque de la victime et à s’engager dans des négociations à même de conduire des solutions possibles.
-Me demandez-vous – pour des questions qui nous sont sacrées – d’avoir affaire à des problématiques formelles ou des hypothèses ? Nous est-il permis, à mes frères et moi, de parier sur le destin de la Patrie au moyen de « si » … ou de « peut-être » ?
Le sujet est bien trop grave pour être traité ainsi…
Y.S : En que dites-vous à celui qui croit que la reconnaissance réciproque pourrait approfondir les contractions à l’intérieur de l’entité israélienne et aggraver les secousses enregistrées au sein de la société juive – et même au sein de l’armée israélienne – au cours de la guerre du Liban, et à la suite du massacre de Sabra et Chatilla ? Que diriez-vous à ces quarte cent mille manifestants israéliens de Tek Aviv qui ont dénoncé l’agressivité et la sauvagerie du gouvernement Begin ?
-Y. A : J’ai dit à 50 mille palestiniens et Arabes rassemblés pour écouter l’un de mes messages adressés à ces manifestants de Tel Aviv mes salutations au nom de nos masses, de nos résistants et de notre peuple… A tous les manifestants contre la guerre et contre le massacre, qu’ils aient été des militaires ou des civils, j’ai dit aussi que j’étais prêt à engager avec eux un dialogue au sujet des droits légitimes de notre peuple palestinien. Cela s’inscrit également dans les résolutions du Conseil National dans ses 12ème et 13ème session.
Y.S : Quand vous adressez des salutations à des militaires israéliens qui ont fustigé le comportement de leur gouvernement, vous les reconnaissez, et vous reconnaissez donc leur Etat ?
Y.A : Je ne fais pas la guerre à des fantômes ! Je fais face à des soldats !… Je ne suis pas comme Regan qui m’envoie Philip Habib, obtient de moi des engagements après avoir négocié avec moi et qui trouve le moyen de dire : « Je ne reconnais l’O.L.P. »… Qui supervise, avec d’autres pays, l’opération du départ des forces armées palestiniennes, et qui trouve le moyen de dire : « Je ne reconnais pas le représentant politique de ces forces ! », Je ne suis pas un fumeux. Je suis confronté à des données réelles et je les traite telles qu’elles se présentent. Il est important que mon partenaire traite ces mêmes données de la même manière…
Y.S : On vous a attribué une déclaration où vous niez l’éventualité d’une révision de la Charte Nationale Palestinienne dans le sens rendrait possible la reconnaissance d’Israël, dans le cas où les conditions pour la création d’un Etat palestinien se trouveraient réunis…
Y.A : Je n’ai fait pas de déclarations à ce sujet, ni dans un sens ni dans l’autre…
Y.S : Les forces palestiniennes dans la Bekaa : qu’arrivera-t-il si un accord pour l’évacuation des forces israéliennes et syriennes est conclu entre la Syrie et Israël, d’une part, et les autorités libanaises d’autre part, aux dépens des combattants palestiniens ?
Y.A : C’est un sujet très sensible. Il est sur l’ordre du jour maintenant des réunions du Comité Central. Il est au sommet de nos priorités.
Y.S : Et à propos des civils palestiniens qui se trouvent au Liban ?
Y.A : Personne ne doit croire que nous garderons encore longtemps le silence devant ceux qui se permettent de jouer le sang palestinien. La patience a des limites !…
Youssef Seddik (Tozeur, 1943)
Philosophe, anthropologue et islamologue tunisien spécialiste de la Grèce antique et de l’anthropologie du Coran