Les diagonales négatives | Sur le communisme vodou

Bruno Lemoine
On a vu que l’anthropologue Mary Douglas avait eu maille à partir avec la société écologique de son temps, dont elle nommait les membres les « postmodernes ». Le modèle du livre postmoderne, qui aurait alors pu faire l’objet de ses critiques, est, peut-être, Qu’est-ce que l’écosophie ? de Félix Guattari. C’est même de là que m’est venue mon envie de reprendre sa théorie culturelle. Parce que, pour l’essentiel, celle-ci me semble parfaitement valide et pertinente, et il est bien dommage qu’elle ait fait aussi peu d’émules. Oui, Mary Douglas avait raison : pour prévenir les risques dans une société donnée, il faut connaître les communautés qui la composent et les liens qui se sont tissés entre elles. Sinon l’on peut se retrouver à prêcher dans le désert et à rejouer le rôle de l’héroïne grecque Cassandre…
Tout est politique chez Mary Douglas, même la nature est politisée, puisque l’homme est un animal politique. L’homme ne peut donc percevoir la nature que par la figure de la prosopopée : lorsque la nature lui semble souillée, il la fait parler pour qu’elle lui dise d’où vient le mal : « à toutes les époques et dans tous les pays, expliquait Mary Douglas dans son essai De la souillure, l’univers est saturé de significations morales et politiques. Les désastres qui ravagent l’atmosphère et le sol et empoisonnent les eaux sont généralement interprétés politiquement : on trouve toujours un bouc émissaire déjà frappé d’impopularité. » On peut donc définir une société à partir de la façon dont, selon elle, la nature dénonce son ou ses agresseurs : « Les communautés tendent à s’organiser en fonction de tel ou tel type dominant d’explication. » Mary Douglas en distinguait cinq dans De la souillure :
1 – L’explication de type moraliste : untel est mort, parce qu’il a violé un tabou par exemple : il a enfreint un interdit, commis un péché, souillé un temple ou dépassé les bornes… La société doit donc se purifier, si elle ne veut pas que cette mort la contamine. On trouve ce type de blâme au début de l’épidémie du sida : c’étaient alors les homosexuels qui furent désignés, dans les médias, comme étant « responsables ». Le type d’explication moraliste permet souvent d’exorciser, à moindre frais, un spectre qui hante une société. Ainsi du rituel judiciaire de l’ordalie au Moyen-Age : on jetait les présumés coupables dans un fleuve, ceux qui s’en sortaient étaient alors innocentés. Il valait donc mieux savoir nager, lorsque le sort nous désignait comme étant non pas coupable, mais présumé coupable, autrement dit, aussi, présumé innocent. Qui aurait pu alors dire qu’il ne serait jamais arrêté ? Qui sera, demain, touché par le délit de « sale gueule » ? Le rituel de l’ordalie n’a jamais réussi à rendre une société plus juste ou plus saine, pas plus que la peine de mort n’a fait baisser le nombre des prisonniers et des prisons. Les blâmes sexistes comme les blâmes racistes sont, en outre, des explications de type moraliste…
Ainsi, pour le blâme raciste et ses conséquences, on peut évoquer l’histoire tragique des Panthères noires traquées par le FBI. A la fin des années 60, le Cointelpro, mis en place par J. Edgar Hoover, aux Etats-Unis, contre les Panthères noires a si bien fonctionné qu’il a aussi réussi à nous faire oublier que ses leaders avaient notamment créé des cliniques autonomes et gratuites en faveur des Africains-Américains (Les Panthères noires n’étaient donc pas qu’une « milice armée », comme on le croit souvent encore, mais ils ont aussi produit des réformes autonomes, hors des cadres administratifs régis par l’Etat américain). Un programme autonomiste noir avait été réalisé pour rendre les services publics accessibles gratuitement à nombre de communautés noires américaines. Le leader des Panthères noires Bobby Searle s’est ainsi retrouvé à lutter souvent contre les allégations racistes qui étaient alors colportées au sujet de la drépanocytose [la drépanocytose est une maladie héréditaire caractérisée par l’altération de l’hémoglobine et elle est particulièrement fréquente dans les populations noires.]

Alondra Nelson
L’anthropologue africaine américaine Alondra Nelson explique ainsi, à ce sujet, dans un entretien de 2013 « Blouses blanches et panthères noires » : « Au cours de ma recherche, j’ai découvert qu’en 1972 les Black Panthers avaient été invités pour parler de la drépanocytose à la télévision, à une heure de grande écoute, dans l’une des émissions les plus populaires de l’époque. John Lennon et Yoko Ono étaient également sur le plateau. Des millions de personnes ont vu Bobby Searle, Marsha Martin et Donald Williams parler de la drépanocytose avec John et Yoko. Et personne ne s’en souvient ! Pendant les dix ans qu’a duré ma recherche, quand je disais que je travaillais sur la politique de santé des Black Panthers, les gens me prenaient pour une folle ! » Les Panthères noires faisaient donc aussi de la prévention sanitaire, ainsi que des hôpitaux et des dispensaires en faveur du peuple noir, ce que tout le monde a oublié de nos jours ! Le programme du Cointelpro, mis en place par le directeur du FBI J. Edgar Hoover a donc, hélas, parfaitement fonctionné, sur nos esprits, au sujet du Black Panther Party. L’un des buts de J. Edgar Hoover, à ce propos, était que les Panthères noires perdent en popularité sur le territoire américain : il ne fallait surtout pas que les membres de cette organisation noire soient perçus comme étant des martyrs du système américain : Hoover avait bien compris que, pour que le suprématisme blanc se perpétue aux Etats-Unis, il ne fallait pas de nouveaux messies noirs… Faut-il encore ajouter, ici, que l’organisme humain est le même pour chacun d’entre nous et que nous avons généralement le même nombre de neurones, que nous soyons femmes ou hommes, et quelle que soit la couleur de notre peau ?
Combat et prise de la Crête-à-Pierrot, gravure de 1839 illustrant l’un des événements marquants de la révolution haïtienne.

La répression du FBI contre les Panthères noires est bien la conséquence d’un blâme raciste cherchant, à la fin des années 60, à ce que les communautés africaines américaines ne puissent s’émanciper du système politique mis en place à Washington. Ce qui nous ramène ici à la question noire que CLR James avait traité dans les années 30, après avoir écrit Les Jacobins noirs. On a vu que, selon l’écrivain de Trinidad CLR James, même si la lutte des classes était essentielle, celle-ci ne devait pas faire que l’histoire des peuples et des racismes en soit stigmatisée ni occultée ; au contraire, il fallait que chaque communauté opprimée sur un sol organise elle-même ses luttes.

CLR James prend la parole à Trafalgar Square, Londres, 1935
Les communautés africaines américaines devaient donc créer elles-mêmes leurs propres partis et leurs propres syndicats noirs. Mais cette question noire posée par CLR James, et qui eut l’heur de plaire à Trotski dans les années 30, on la retrouve, après la seconde guerre mondiale, dans tous les processus de décolonisation ayant eu lieu à travers le monde, ce que CLR James et Trotski avaient eux-mêmes compris : tout processus de décolonisation, au vingtième siècle, a commencé par la mise en place de syndicats et de partis politiques indépendants des syndicats et partis politiques des colons… en fait, la notion d’intersectionnalité – dans sa composante identitaire et culturelle, et, hélas à l’époque, non féministe – avait été comprise bien avant la seconde guerre mondiale, tout au moins par deux hommes : CLR James et Trotski.
2 – Le deuxième type d’explication sociale des risques et catastrophes, selon l’anthropologue Mary Douglas, est l’explication individualiste (qui est l’explication la plus courante aujourd’hui, puisque nos sociétés voient actuellement leurs communautés atomisées) : Untel est, donc, mort, parce qu’« il n’a pas été assez prudent, malin ou intelligent… » Même si sa mort a une cause concrète, même s’il y a des responsables, ceux-ci ne sont pas vraiment inquiétés, puisque tout un chacun doit être capable de se prémunir des risques… La faute retombe donc ici, à peu près à tous les coups, sur le mort. C’est ici, par exemple, l’explication des accidents donnée par le code de la route, dans toutes les campagnes de prévention routière. La faute des accidents de la route a toujours, dans nos démocraties dites « modernes », une cause « individuelle » : soit le conducteur avait bu, soit il regardait son portable, soit il était fatigué et il aurait dû s’arrêter sur une aire d’autoroute… Jamais la faute en incombe aux difficultés du marché du travail, pas de conscience de classe dans les analyses des experts des accidents routiers, alors qu’une large part de ces accidents se déroulent lors des trajets professionnels : les catégories socioprofessionnelles, comme critère de recherche à ce propos, sont stigmatisées.
La cause des suicides dans nos sociétés relève généralement du même type d’explication. Dans un essai de 2012 Suicide et sacrifice, le philosophe Jean-Paul Galibert écrivait à ce propos : « Il y a presque deux fois plus de suicides que de morts sur la route. Le suicide tue cinq fois plus que l’alcool au volant, cinquante fois plus que le cannabis au volant, 1000 fois plus que les overdoses de cocaïne, 3000 fois plus que l’ecstasy. »
Il ne faudrait surtout pas que nos Etats dits « modernes » aient à faire l’aveu de la part maudite qui les ronge : « Nous ne sommes pas, nous n’avons jamais été des sociétés sacrificielles. »
3 – Troisième type d’explication des risques par une société, selon l’anthropologue Mary Douglas : l’explication de l’ennemi extérieur comme responsable d’un risque : la mort d’un tel a été provoquée par un agent ennemi de la société. Une enquête ou un consensus ont donc lieu pour désigner qui est l’ennemi et la façon dont on peut s’en débarrasser. Ainsi, du Capital pour Marx et le mouvement communiste : la dénonciation est alors fondée sur des arguments rationnels, objectifs et scientifiques, et il s’agit d’obtenir un consensus d’ordre révolutionnaire à partir de ces arguments. La révolution haïtienne appartient à ce type d’explication dialectique, et l’on a vu, précédemment, qu’elle a directement influencé la Phénoménologie de l’esprit de Hegel. Mais, cette fois, les arguments, pour obtenir un consensus, ne sont plus de l’ordre du rationnel, mais du religieux : il s’agit du Vodou. Ici, la philosophie des Lumières trouve son frère, et ce frère est l’âme de l’Afrique. Ce que font des philosophes haïtiens actuels, que j’ai lus, c’est d’essayer de rendre, autant que faire se peut, le vodou, dans l’ordre rationnel occidental… ce qui, pour moi, est une connerie.
Dans la théorie culturelle de Mary Douglas, chacune de ces explications se forme sur la base d’un consensus partagé par les membres d’une société donnée. Ces trois types d’explications sont généralement celles de sociétés constituées des quatre groupes du schéma Grid-group élaboré par Mary Douglas.
Il existe encore, selon Mary Douglas, deux autres types d’explication sur les causes d’un risque :
4 – Dans certaines sociétés plus primitives, il n’y a pas d’explication qui tienne la route : tout type d’explication, même aberrant, est donc possible : les soucoupes volantes, le pangolin, la veuve blanche, l’« accusation de sang » portée contre les Juifs au Moyen-Âge, tout est possible, tout se vaut. Ce qui me fait penser, ici, à la formation de la spirale QAnon dont s’est servie l’alt-right américaine pour mettre en place Donald Trump à la Maison blanche et, peu ou prou, le maintenir au pouvoir aujourd’hui.
Ici, ce sont les théories du complot, les « phantasmes de complot » dont parle l’écrivain italien Wu Ming 1 dans un récent essai Q comme qomplot, qui forment la trame des explications données par QAnon aux maux dont souffre le peuple américain. Les termes de primitifs, de développés ou de civilisés, qui caractérisent des cultures ou des « sous-cultures » n’ont pour moi aucune valeur hiérarchique, et ce serait une erreur tragique de déconsidérer un groupe ou une communauté donnée, parce que son type d’explications ne correspond pas au nôtre (après deux guerres mondiales, il me semble évident que nous, comme peuples blancs américains ou européens, sommes plus barbares et primitifs que n’importe quelle culture ayant existé sur la terre). C’est ce qu’expliquent, au sujet de QAnon, Wu Ming 1 dans Q comme qomplot, mais aussi, d’une certaine façon, Naomi Klein dans son dernier essai Le Double, et même le linguiste américain Noam Chomsky va dans ce sens. J’y reviendrai bientôt, à partir de Danger d’extinction, un recueil des entretiens de Chomsky paru en 2020…
5 – Enfin, certaines sociétés, même lors de catastrophes, préfèrent ne pas blâmer du tout. Ce sont des sociétés du silence, celles des omertas, mais pas seulement. Il y a aussi des sociétés ayant préféré garder le silence quand le vent tournait, plutôt que de changer leurs habitudes et leurs modes de vie… ce qui nous rapproche ici de nos propres usages quotidiens et des mises en garde des écologistes actuels concernant les risques bien réels que nous fait courir la société de consommation. Ainsi, durant l’Antiquité, du déclin de l’aristocratie grecque, à cause de la généralisation de l’échange monétaire, dont parlait le philosophe Friedrich Engels dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat (1884). La concentration des richesses était déjà, selon Engels, à l’origine de la décadence de la Grèce puis de sa colonisation par Rome. Les familles aristocratiques hellènes accumulèrent alors les dettes, et certains aristocrates préférèrent vivre dans la misère plutôt que de devenir esclaves…
Un piquet de grève devant la mine de charbon d’Easington Colliery, durant la grande grève des mineurs de 1984.

On peut très bien aussi trouver un comportement analogue, à l’autre bout de la chaine aristocratique, dans le monde ouvrier, par exemple. L’ouvrage Pour une anthropologie de la consommation de Mary Douglas et Baron Isherwood a été publié en 1972, treize ans avant que la première fermeture de puits de charbon n’ait lieu dans la province anglaise du Yorkshire. En 2015, la dernière mine de charbon du Yorkshire a fermé ; c’était aussi la dernière en activité en Angleterre. Les fermetures des bassins miniers en Angleterre et en France sont un phénomène social connu, et nombre de films de Ken Loach parlent du bassin minier anglais, de la fin des années 60 à nos jours ; ainsi Kes en 1969, Regards et sourires en 1981, enfin le film The Old Oak, paru en 2023, qui relate l’histoire d’une ancienne ville minière se retrouvant à accueillir des réfugiés syriens. Dans Pour une anthropologie de la consommation, Douglas et Isherwood revenaient sur l’étude d’une communauté minière de la fin des années 50, celle de la ville d’Ashton dans le West Yorkshire . L’essentiel de la consommation des ménages de la ville minière d’Ashton passait alors dans le lien social, celui au pub des hommes, mais aussi ceux des réseaux de solidarité qu’ils avaient construits au fil du temps. La fraternité ouvrière semblait alors essentielle aux habitants d’Ashton. Comme les sites miniers dataient de la fin du dix-neuvième siècle, que des familles ouvrières s’étaient succédé là depuis plus de deux générations, personne n’imaginait que l’industrie dût disparaître.
Aucun ménage d’Ashton n’investissait alors dans sa maison, pour son confort personnel, aucun n’épargnait non plus l’argent, seule la fraternité ouvrière devait primer ; et chacun des mineurs s’entendait à ce que cela reste ainsi. Puisque le travail dans les mines n’était pas toujours assuré, puisque la situation des mineurs demeurait précaire, les hommes misaient donc l’essentiel de leur paye sur les liens sociaux qu’ils trouvaient dans leur travail à la mine : « Il s’agissait d’une économie de haute consommation et de faible épargne, peut-on lire dans Pour une anthropologie de la consommation. D’après les auteurs [les sociologues anglais Norman Dennis, Fernando Henriques et Clifford Slaughter], cette habitude est en partie due aux grandes insécurités et aux grands changements de leur emploi « qui les fait renoncer à l’épargne, et vivre au jour le jour, dépensant leur argent à mesure qu’ils le gagnent, dans l’idée qu’« ils s’en sortiront d’une manière ou d’une autre, quoiqu’il leur arrive. » Lorsqu’un mineur choisissait de ne plus participer aux dépenses pour les distractions des hommes de son groupe, il était rabroué et remis à sa place. Ce qui ne signifie pas que ces mineurs ne se soient pas battus dans les années 80 contre la fermeture de leurs usines, bien au contraire. Ils ont très probablement dû blâmer le gouvernement Thatcher de leurs maux et s’organiser en conséquence pour sauver leurs emplois. Le type d’explication a alors changé puisqu’un ennemi étranger à leur communauté avait alors été déterminé : Margaret Thatcher. Mais cela a vraisemblablement été en passant sous silence le fait qu’ils aient choisi, de concorde, des années durant, de ne rien épargner du tout en cas de pépin, ou d’avoir épargné trop tard.
Voilà pour le cadre d’étude, que proposait Mary Douglas à l’analyse des risques. Il s’agissait de comprendre comment une culture donnée pouvait répondre à un danger, selon des critères issus de l’ethnologie structuraliste de Lévi-Strauss. Combien une telle étude serait encore profitable de nos jours, afin de lutter non seulement contre les maladies, mais aussi contre les maux qui touchent nos sociétés ! Qui le sait aujourd’hui ? Je me souviens d’une médecin généraliste, que je consultais à Dijon, il y a maintenant plus de vingt ans. Celle-ci travaillait alors, avec un laboratoire, pour la prévention des risques du cancer du côlon, qui est, encore actuellement, le cancer le plus répandu dans le monde. Lorsque, en consultation, ma médecin m’a montré leur communication externe, j’ai éclaté de rire : j’ai eu, devant mes yeux, une affichette pour la prévention des risques de cancer du côlon présentant le dessin d’une autruche, la tête dans un trou, avec le slogan arboré : « Sortez la tête du trou ! » Le laboratoire contre le cancer du côlon envoyait aussi, dans les boîtes aux lettres, des colis avec une petite boîte transparente de forme conique. Un schéma explicatif montrait comment prélever sa merde, la déposer dans le tube, puis comment l’envoyer au laboratoire pour son analyse. On ne peut pas faire pire prévention des risques ! Le manque de moyens donnés à la médecine contre le cancer le plus répandu de nos jours fut, pour moi, un présage de la façon dont les gouvernements ont pu gérer l’épidémie de Covid. Un médecin peut quelquefois soigner un patient sans le connaître, mais, dans des sociétés aussi atomisées que les nôtres, ce qu’il est possible de faire pour un individu devient totalement impossible à l’échelle d’une nation. La médecin, que je consultais, m’aimait bien, a fait grise mine, mais elle m’a laissé rire devant l’affiche de l’autruche cherchant à lutter contre le cancer du côlon, et vous en auriez fait tout autant à sa place ou à la mienne : vous auriez ri, fait grise mine ou les deux en même temps.
Cette anecdote, qui concerne le domaine de la santé, devient plus problématique, quand il touche celui du climat ou celui d’une crise politique. Je pense avoir montré, dans ce texte, que l’analyse anthropologique de Mary Douglas donnait à la dialectique hegelienne le versant noir qui lui manquait. La pollution, dont l’anthropologue anglaise parlait en termes universitaires et policés dans De la souillure, m’a toujours fait penser aux travaux anthropologiques de Georges Bataille, notamment dans La Part maudite. Bien que, comme vous, à ce propos, j’espère que Bataille ait eu tort : pour moi, l’histoire des hommes ne se résume pas essentiellement à celle des sociétés sacrificielles, bien au contraire. Selon moi, nombre de travaux d’écrivains et d’anthropologues ont été de montrer la richesse et la variété des aventures humaines et sociales : ainsi le roman Tout-monde d’Edouard Glissant ou les travaux en anthropologie de Marshall Sahlins et de David Graeber. Déjà, l’anthropologie communiste de Marx et Engels allait en ce sens et elle est toujours valable et pertinente. Ce qui n’est pas rien. Nous pouvons toujours rendre nos sociétés plus justes. Il n’y a pas de pente fatale, mais il faut connaître les groupes qui composent nos sociétés et le type d’explication qu’ils peuvent entendre : il faut parler leur langue, connaître leurs usages et leurs limites. Sinon on reprend le rôle de la mythique Cassandre et son complexe. Le plus grand risque pour un lanceur d’alertes, c’est de ne pas être entendu.
Bruno LEMOINE
Écrivain
Récits : Matachine et L’après-journal Nijinski aux éditions al dante.
Anthologie de poésie contemporaine : « L’homme approximatif », (Livre + Film DVD avec l’écrivain François Dominique) aux éditions Al dante.
Poésie contemporaine : revues Action poétique, Nioques, Le Bout des bordes, journal Res Poetica, Do©ks… Réalisation de la revue poésie et art The Black List.
Essais, articles divers : revues Inter art actuel, La Revue des Ressources, Politique de l’auteur; “Pour une hantologie du cinéma“, éditions La Nerthe, décembre 2023